Un conte africain : L'aiguille du roi (Niger)

Posté sur3 années auparavant

Ou comment Sara, jeune garçon d’un petit village au Niger, devint roi... de fil en aiguille. Illustrations : David Cathelin

Un homme avait huit fils dont le plus jeune s’appelait Sara.  Ce fils avait dix ans.

Un jour, Sara trouve une aiguille dans la rue du village. Il la porte à sa mère en disant :
- Vois, j’ai trouvé une aiguille.
Il dit au père :
— Je vais changer mon aiguille pour un poulet.
Il va dans le village en criant :
— Qui veut changer un poulet contre une aiguille ?
La femme du chef du village ne pouvait pas coudre depuis trois jours, faute d’aiguille. Elle l’appelle et lui dit :
— Une aiguille ne vaut pas un poulet.
— Je n’accepte pas moins, dit-il.

Elle lui donne le poulet. Il le porte à son père. Les grands frères, fort étonnés, lui disent :
— Comment ? On t’a donné un poulet pour une aiguille ? C’est bon, ça.
Il dit à son père :
— Voilà ! Fais cuire le poulet, mange-le, seulement, garde-moi une cuisse, je la mangerai demain matin.

En se réveillant, il réclame sa cuisse de poulet. Le père la lui donne, et il dit :
— Mon père, avec cette cuisse de poulet cuit, je vais acheter un cheval.
Tout le monde rit et se moque de lui.

Sara gagne un cheval

Il avait  entendu dire qu’il y avait un roi, Mahandiau,  qui allait passer avec son armée, en milieu de journée.  Il va l’attendre sur la piste, et il crie :
— Qui veut changer une cuisse de poulet cuit contre un cheval ?
Personne de l’armée ne l’écoute, hormis un homme monté sur un cheval blanc, qui demande à voir la cuisse, la saisit, la mange, puis lui dit :
— Maintenant, tu n’auras pas mon cheval.

Le petit réclame. L’homme coupe une branche pour le frapper, puis éperonne son cheval et rejoint les autres cavaliers.

Sara lui court après jusqu’à l’étape, et va voir le roi, qui se reposait.
— Mahandian, tu agis mal avec moi. Tu as pris ma cuisse de poulet, tu ne me l’as pas payée avec un cheval, comme je demandais, et tu m’as battu. C’est gâté, ça !

Les soldats du roi veulent le chasser ; mais le roi les en empêche et dit :
— Comment ai-je mangé ta cuisse de poulet ? Je t’ai entendu crier au bord du chemin, mais je n’y ai pas touché !
— Si tu veux, je te le dirai, dit le petit. C’est un de tes hommes qui l’a prise et m’a frappé. Et je réclame !
— Le reconnaîtrais-tu, si tu le voyais ?

Le roi donne trois soldats à Sara pour l’accompagner dans le camp, afin de retrouver l’homme. Il le retrouve, et on le mène devant le roi, avec son cheval blanc.

Le roi lui dit :
— Pourquoi as-tu fait cela ?
Il répond :
— Parce que je croyais qu’il ne pourrait jamais me rejoindre.
— Eh bien, dit le roi, descends de ton cheval, tu feras la guerre à pied : ton cheval appartient désormais au garçon.

Sara gagne sept chats

Sara monte sur son cheval et vient retrouver son père, en lui disant :
— Avec ma cuisse de poulet, j’ai acheté un cheval.
Les grands frères sont espantés* :
— Ce n’est pas possible ! C’est bon, ça. Quelle chance il a !
Le père est content et lui dit :
— Va attacher ton cheval.

Pendant huit jours, les sept frères montent à cheval. Mais Sara dit à son père :
— Je vais changer mon cheval contre un petit chat.
Les frères sont mécontents, mais le père dit :
— Fais à ton idée, et que Dieu t’aide.

Il monte à cheval et va trouver une femme, Koumba, et son mari, Moussa. Koumba avait sept chats. Son mari était alors en brousse. Sara lui dit :
— Veux-tu échanger mon cheval contre tes sept chats ?

Pendant qu’il était à causer, un homme, qui avait entendu dire de Sara qu’il avait un bon cheval, amène neuf esclaves dans la maison du père et lui propose de les échanger contre le cheval.

Les grands frères étaient d’avis de faire cet échange, mais le père dit :
— Je laisse Sara libre de choisir.
Le fils aîné va dire à Sara qu’un marché avantageux lui est offert. Sara demande :
— Qu’a dit mon père ?
— Notre père te laisse libre.
— Et toi, mon frère, que dis-tu ?
— Prends les esclaves !
Sara répond :
— Tu ne sais pas ce que je cherche. Mon père seul le sait. Je vais changer le cheval contre  les chats.
Koumba, la femme, lui dit alors :
— Jamais on n’a vu changer des chats contre un cheval.
— Qu’importe, dit Sara. Moi, je veux !
Elle lui donne les sept chats dans un panier. Il les  porte à son père, qui lui dit :
— Ca va, ça va, garde tes chats.
Les grands frères sont mécontents.

Il se repose pendant huit jours, après lesquels il dit à son père :
— Je vais porter mes chats dans un pays où je changerai chacun d’eux pour sept pièces d’or.
— Bien, dit le père. Que Dieu t’aide.

Sara gagne des pièces d'or et un mort

Il part, marche vingt jours, arrive dans un autre pays et va trouver le roi Fimma. Celui-ci se désole : ses greniers à mil ont été dévastés par les rats.
— Quelle chance que ta venue ! Des chats : c’est exactement ce qu’il nous faut !  Les rats n’ont qu’à bien se tenir. Regarde notre mil : c’est tout gâté !
On tue un taureau en l’honneur de Sara, et pendant trois jours, il reste là. On lui demande combien il vend les chats.
— Je veux  sept pièces d’or pour chacun d’eux.
Les gens s’écrient :
— Ce n’est pas cher. Nous les achetons tous !
On lui donne quarante-neuf pièces d’or, qu’il emmène chez son père.
— Voilà, mon père. J’ai gagné sept pièces d’or par chat.
Tout le monde est content.

Il se repose trois mois et dit à son père :
— Je vais changer mes pièces d’or contre un homme mort.
Le père dit :
— Que Dieu t’aide.
Les frères sont furieux, car ils se voyaient déjà à la tête d’une fortune.

Sara marche un mois. Il arrive chez le roi Mahan Oulé, mais en entrant dans le village, il apprend que celui-ci est mort. Il est accueilli par Diali Moussa, griot du roi. On frappe le tabalé, tout le monde se rassemble.
Sara dit à Diali Moussa :
— Je te donne mes quarante-neufs pièces d’or contre un homme mort. Demande aux fils du roi de faire l’échange.
Les fils du roi acceptent en disant :
— Quand un homme, fût-il père ou roi, est mort, il n’est plus rien : c’est de la viande. On peut faire l’échange.

Sara dit :
— Avant de faire l’échange, je veux qu’on fasse venir comme témoins quatre marabouts.

On fait venir les marabouts. Sara prend le mort et donne ses pièces d’or. Il saisit le cadavre par les pieds et le traîne jusqu’à la grande place. Il demande trois hommes pour garder le mort pendant qu’il s’absente, puis sort du village, et se met à chercher un bon bâton de bois vert.

Pendant ce temps, les fils du roi viennent trouver les gardiens du corps et leur demandent de laisser enterrer le roi pendant l’absence de Sara.
— Quand il reviendra, on lui dira que le diable a enlevé le corps.
Les gardiens refusent. Sara revient, paye les gardiens, puis se met à houspiller le cadavre en lui disant :
— Tu as mis beaucoup de gens aux fers, tu as fait battre beaucoup de gens pendant ton existence : aujourd’hui, c’est moi qui vais te frapper.
Il lui fait des reproches et le menace avec son bâton.

Sara gagne 343 soldats

Les fils du roi sont fâchés, et  veulent s’opposer à ce qu’on frappe feu leur père.
— Ce mort m’appartient, dit Sara, j’en fais ce que je veux.
Les fils veulent défaire la vente. Sara refuse et déclare :
— Allons devant le Cadi.
Le cadi, après avoir entendu l’affaire, fait venir les quatre marabouts témoins et dit :
— Sara a raison.  Vous êtes des  fils indignes, et des imbéciles, d’avoir  ainsi vendu le corps de votre père. Votre peine sera de le racheter.
Il demande alors à Sara combien il veut pour annuler l’opération.

— Il est à moi, si on le veut, je ferai mes conditions. Pour chacune de mes quarante-neuf pièces d’or, il me faut sept guerriers.

Les fils acceptent, et lui donnent trois cent quarante-trois guerriers. Il leur dit :
— Permettez que je demeure près de vous.

Il bâtit un village à côté du leur et s’y installe.  

Une petite rivière coulait à côté. Sara entend une nuit parler un grand serpent qui s’appelait Samano. Il va le trouver et ils causent. Le serpent lui dit :
— Il y a de l’or à l’endroit où tu as fait ton village. Si tu me donnes sept taureaux, je te montrerai l’endroit.

Sara lui donne sept taureaux. Pendant la nuit le serpent lui montre un endroit où il y a des cailloux ronds et dit :
— Là-dedans, il y a un grand canari* plein d’or.
Au matin, Sara appelle des renforts et les fait creuser à l’endroit indiqué.
Il sort le canari et donne de l’or à ses hommes. Il fait des libéralités à tout le monde. Enfin, il réunit tous ses guerriers et attaque le village du roi : il le conquiert.
Il devient roi du pays et envoie cent cinquante cavaliers chercher sa famille. Il dit à son père :
— Je suis ton fils et tu seras roi de ce pays. Mes frères auront de bonnes situations, et on verra que j’ai gagné un royaume  avec une aiguille. C’est bon, ça !

* Espanter* : s’étonner, ne pas en croire ses yeux. Expression du sud de la France et non du Niger !

Retrouvez cet article illustré dans le magazine suivant
Laissez un commentaire
Laisser une réponse
Connectez-vous pour poster un commentaire.

Menu

Paramètres

Partager