Le Charlatan | Fables de La Fontaine

Posté sur3 années auparavant

Le monde n'a jamais manqué de Charlatans :
            Cette science, de tout temps,
            Fut en Professeurs très fertile.
Tantôt l'un en théâtre affronte l'Achéron,
            Et l'autre affiche par la ville
            Qu'il est un passe-Cicéron.
            Un des derniers se vantait d'être
            En éloquence si grand maître,
            Qu'il rendrait disert un Badaud,
            Un Manant, un Rustre, un Lourdaud ;
Oui, Messieurs, un Lourdaud, un Animal, un Âne :
Que l'on amène un Âne, un Âne renforcé,
            Je le rendrai maître passé,
            Et veux qu'il porte la soutane.
Le Prince sut la chose, il manda le Rhéteur.
            J'ai, dit-il, dans mon écurie
            Un fort beau Roussin d'Arcadie :
            J'en voudrais faire un Orateur.
Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme.
            On lui donna certaine somme.
            Il devait au bout de dix ans
            Mettre son Âne sur les bancs ;
Sinon il consentait d'être en place publique
Guindé la hart au col, étranglé court et net,
            Ayant au dos sa Rhétorique,
            Et les oreilles d'un Baudet.
Quelqu'un des Courtisans lui dit qu'à la potence
Il voulait l'aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance :
Surtout qu'il se souvînt de faire à l'assistance
Un discours où son art fût au long étendu .
Un discours pathétique, et dont le formulaire
            Servît à certains Cicérons
            Vulgairement nommés larrons.
            L'autre reprit : Avant l'affaire,
            Le Roi, l'Âne, ou moi, nous mourrons.

            Il avait raison. C'est folie
            De compter sur dix ans de vie.
            Soyons bien buvants, bien mangeants ,
Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.

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