Conte indien : le curupira | Histoires pour s'émerveiller et dormir

Depuis les temps anciens, les vieux qu’on appelait les sages avaient alerté les Indiens à propos des attaques de curupira. Ils expliquaient que c’était une petite créature avec les cheveux rouges, les oreilles pointues, les pieds à l’envers, tournés vers l’arrière. Il était toujours monté à califourchon sur un petit porc sauvage, le pécari, harcelant bêtes et gens.
On le voyait rarement parce qu’il réussissait à se transformer en à peu près tout ce qui existait dans la forêt grâce à sa maîtrise des secrets de la nature.


C’était dans les derniers jours de décembre, au début de la récolte des noix du Brésil, et tous les gens du village étaient occupés à aller dans la forêt chercher ces noix, très appréciées par tous. Ils en profitaient pour ramasser de la paille afin de rénover les toits des maisons. Pixuira et Arudé, deux amis inséparables, compagnons de chasse, de pêche et de travail, partirent eux aussi dans les bois pour la cueillette. La journée était belle et calme, ils marchèrent, marchèrent longtemps, puis ils décidèrent de s’arrêter dans un endroit pour y passer la nuit.


Ils fabriquèrent un abri de bois et de palmes. Ils allèrent chercher de l’eau dans un petit ruisseau proche de là et ils arrangèrent leur panier, leur gourdin, et leurs arcs et flèches. Ils dînèrent d’un filet de poisson grillé et s’endormirent tranquilles.

Tôt le matin, ils se remirent en route. Tous deux marchaient dans les premiers rayons du soleil en admirant les arbres imposants. En partie à l’ombre des frondaisons, en partie dans la lumière du soleil, tamisées par les feuillages, de nombreuses lianes s’entremêlaient aux branches. Les arbres étaient touffus et abritaient une grande variété d’oiseaux, chacun y allant de son chant unique, de sa mélodie particulière à la gloire de Monãg, dieu tout-puissant.



Au niveau du sol, quelques animaux plus audacieux couraient ou volaient entre les troncs. Pixuira et Arudé prêtaient attention au bruit du vent dans les branchages et très vite, ils se retrouvèrent sous les noyers du Brésil. Ils râpèrent du guarana pour le mélanger à de l’eau, et après avoir bu la boisson tonique, ils se mirent au travail.


Soudain, ils entendirent un bruit, non loin de là, qui venait d’un bosquet d’arbres aux racines géantes, mais comme ils étaient de courageux guerriers, ils n’hésitèrent pas à aller voir de plus près d’où venait réellement ce vacarme. Ils marchèrent encore et encore et entendirent un sifflement qui paraissait lointain, « fiuuuuuuuu », et aussitôt après, il y eut un coup de vent et des feuilles mortes se soulevèrent en tourbillonnant.


Le cœur battant de stupeur, ils voulurent s’enfuir, mais plus ils marchaient, plus ils étaient perdus. Ils faisaient du surplace. Quelle que fût la direction dans laquelle ils allaient, ils restaient toujours au même endroit. Ils tournaient en rond. Le jour touchait à sa fin, et l’horizon annonçait la nuit. Les deux compagnons étaient de plus en plus inquiets car ils connaissaient bien ce genre d’histoire.



– Arudé, je crois qu’un curupira nous guette, finit par dire craintivement Pixuira.
– Je m’en étais bien aperçu, répondit Arudé, en sortant une flèche de sa ceinture.
Il avait son panier dans le dos avec de la nourriture et toutes ses affaires. Il s’arrêta de marcher, se mit à observer et réfléchit.



C’est alors qu’ils se souvinrent d’une vieille coutume indienne qui pourrait sûrement les aider dans un pareil moment. Ils coupèrent des feuilles de palmier pour fabriquer une réplique d’alligator. Ils le tressèrent avec soin, le posèrent sur le chemin, laissèrent près de lui une calebasse pleine d’alcool de manioc et s’éloignèrent. Quand le curupira vit la sculpture tressée, la curiosité le poussa à s’en approcher et il goûta la boisson forte. Il l’avala d’un coup, sur place et, comme il était complètement soûl, il en oublia les deux amis. Sans demander leur reste, Pixuira et Arudé décampèrent pour reprendre le chemin du retour et ne plus s’en écarter, laissant derrière eux noix du Brésil, abri de paille, seaux, calebasses et paniers.



Ils arrivèrent au village dans un état lamentable et décidèrent de ne plus jamais retourner dans cet endroit. Ils apprirent ainsi que le courage n’est pas toujours synonyme de témérité. Ils devinrent des guerriers prudents et raisonnables. Et chaque fois qu’ils sortaient du village, ils demandaient désormais la protection du dieu Monãg. Au fond,l’Amazonie est un cercle de mystères.

Conte publié dans notre magazine Cram Cram 42 chez les indiens du Panama. Illustrations Lucy Rioland.

Menu

Paramètres

Partager